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Peut-on vraiment arrêté les téléchargements illégaux et le piratages informatiques?
2 février 2015

l'usage des étudiants

«Google» pillé-collé, l'arme fatale des étudiants

 

PASCAL LARDELLIER 12 AVRIL 2006 À 20:54

Pour une nouvelle génération d'étudiants, les moteurs de recherche constituent d'immenses réservoirs servant à puiser une documentation anonyme et gratuite pour travaux en tout genre... Le mégamoteur de recherche Google déchaîne décidément les passions, tant pour son impatience gloutonne à numériser les collections des sages bibliothèques, pour son esprit de conquête souvent taxée de volonté d'hégémonisme que pour la domination qu'il assoit d'une langue déjà surreprésentée dans les industries culturelles. Car l'ère des «tuyaux de la connaissance» ouverte par les moteurs de recherche entérine une nouvelle géopolitique du savoir, avec des enjeux culturels et économiques colossaux.

Mais ne boudons pas notre plaisir : la caractéristique principale des moteurs de recherche (Google, Yahoo, AltaVista...) est d'avoir rendu disponibles instantanément des millions d'informations. Et surtout d'avoir fait de cette recherche une activité quotidienne et ludique pour tous leurs utilisateurs. Alors, le rêve encyclopédique à portée de clic ? Erasme, Diderot et leur utopie de savoir intégral rassemblée dans le grand creuset numérique des moteurs de recherche ? Pas sûr... Loin de ces considérations culturelles, ces élèves et étudiants bien remuants ces temps-ci voient avant tout en Google un «super Quid numérique» (Jean-Noël Jeanneney) qui a réponse (mécanique) à tout ou presque. Et les enseignants subissent tous au quotidien un nouveau fléau pédagogique : les «exposés Google».

Car les jeunes font une utilisation incessante et très pragmatique de Google. Pour nombre d'entre eux, le géant américain, c'est la «grande loterie du savoir», représentant un imparable principe d'économie : plus besoin de se déplacer et d'aller à la bibliothèque, plus besoin d'acheter les livres, et, d'ailleurs, plus besoin de les lire. On copie-colle des résumés, des petits fragments glanés sur le Net et le tour est joué. L'arme fatale (pseudo-)culturelle, en quelque sorte ; qui pourrait bien porter un coup mortel à une certaine idée de la connaissance, ainsi qu'au livre, à terme.

Ces «exposés Google» sont tour à tour drolatiques et affligeants. Il s'agit de la récitation incertaine et publique de bribes d'informations hâtivement pêchées sur le Web, et tout aussi rapidement rassemblées en un incertain patchwork. Car information n'est pas savoir. Et si tout ce qui se trame et se dit sur la Toile était sûr et vérifié, cela se saurait. Les «exposés Google» (qui se généralisent, contrôle continu oblige) sont tressés de perles, autant que de cailloux. Les profs peuvent distribuer autant de sujets d'exposés qu'ils veulent à des petits groupes d'étudiants, ceux-ci auront sans coup férir la «matière» (comme ils disent) dans les deux heures (et parfois même dans les dix minutes). Comme dans un célèbre magasin parisien, on trouve (de) tout sur Google. Mais il ne faut pas être trop regardant sur le stock.

Sur le Net, si on n'est pas particulièrement perspicace et vigilant, commence la ronde des incohérences, des approximations, voire des contresens les plus éhontés. Ainsi, on m'apprend que le cinéma a été inventé en 1920, le téléphone en 1838 et la télévision en 1950, le DSM 4 est un livre de psychologie célèbre, la notion d'addiction «a été découverte» en 1998, et Léonard de Vinci était militant homosexuel ! Les lecteurs corrigeront d'eux-mêmes. Mais à l'avenant, plus un exposé sans ce genre d'erreurs, dont on soutient pourtant mordicus le statut de vérité, puisque «M'sieur, on l'a trouvé sur Google». Car, au prix de confondants sophismes, certains affirment que les «infos Google» ont statut de vérité, et que «ce qui n'est pas sur Google n'existe pas»...

Toute personne faisant preuve d'un minimum de discernement sait que la «pêche en ligne» a ses limites. Mais une génération arrive qui a rarement ce scrupule méthodologique. Parce qu'elle lit moins et que tout doit être fait plus vite. Tout n'est pas faux ni mauvais sur Google, bien sûr, et il ne saurait être question de faire un mauvais procès à un outil superbe, quand il est utilisé avec circonspection. Il faut reprendre conscience de cette chance qui consiste à convoquer «au doigt et à l'oeil» des trésors de savoir potentiel.

Mais, si les «infos Google» émanent souvent de sites sérieux et reconnus (universités, bibliothèques, laboratoires), il peut aussi s'agir de la mise en ligne partiale de données personnelles. Quand il ne s'agit pas d'informations délibérément prosélytes. Pourtant, bien des étudiants procèdent à des «copier-piller» massifs depuis Google et Wikipédia. Exactement comme ils photocopiaient l'Encyclopaedia Universalis ou les introductions des Que sais-je ? il y a encore dix ans. Autre époque, autres méthodes, autres références...

Ainsi, les entorses à la propriété intellectuelle induites par la recherche en ligne sont de plus en plus fréquentes. Ce qui circule sur le Net est-il considéré comme du domaine public ? Certes non. Mais certains s'embarrassent de moins en moins de scrupules, en glanant allégrement des infos numériques «sans domicile fixe», dont ils s'attribuent ensuite la paternité. Les cas sont de plus en plus fréquents de mémoires ajournés quand les évaluateurs découvrent (si possible avant la soutenance) que l'essentiel du travail résulte de piratage en ligne de travaux antérieurs sur le même sujet. Car les moteurs de recherche ouvrent bien l'ère de l'industrialisation de l'appropriation de la pensée d'autrui. A côté, le «photocopillage» des années 90 relève de l'amateurisme. Selon une étude récente, 60 % des étudiants des grandes écoles avouent copier tout ou partie de leurs travaux sur le Net. Cela nous prépare des «élites» au top. Un logiciel existe depuis peu, qui permet de démasquer les «braconniers du Net», en détectant le plagiat. Mais combien d'écoles et d'enseignants en sont équipés ?

Sur le Web, l'organisation apparemment anarchique de l'information ainsi que son abondance incommensurable débouchent sur un paradoxe : celui de rendre plus difficile la production d'une connaissance pertinente. Car, sur la Toile, toute bribe d'information peut être potentiellement reliée avec chacun des autres éléments du réseau. Tapotez, pianotez, il en sortira toujours quelque chose...

Ce qui incombe à la personne travaillant à partir de «sources Google», c'est de savoir identifier la légitimité du site donnant les informations ; c'est ensuite de recouper celles-ci et de les diversifier, afin de s'assurer de leur validité et de leur véracité ; c'est enfin de remettre ces informations dans une perspective originale : ce que l'on appelle la problématisation. Cela nécessite du discernement, du recul critique, ainsi que l'échange avec autrui (enseignants, collègues, bibliothécaires...). Mais, surtout, tout cela requiert du temps, de la curiosité. Car les chemins de la connaissance, tortueux, ne sont faits que de détours, de sentiers de traverse et de haltes inattendues. Et c'est là aussi qu'on apprend et que l'on se ressource.

Il faut évoquer aussi le rétrécissement généralisé du format des informations trouvées via les moteurs de recherche. N'oublions pas qu'«en faisant appel à Internet on n'interroge pas l'ensemble des connaissances, mais seulement celles que différents contributeurs ­ universités, institutions, médias, particuliers ­ auront choisi de proposer en libre accès (au moins pour un temps)» (Pierre Lazuly). Effectivement, de plus en plus souvent, en surfant, on ne pêche qu'une juxtaposition de résumés, de commentaires, dirigeant tous vers des liens commerciaux qui vendent, eux, l'intégralité du texte recherché, article ou livre.

Le rapport à la culture mis en place par les moteurs de recherche fonctionne en fait sous l'égide d'un paradoxe, puisqu'il mêle omniscience et amnésie. L'omniscience, ou la capacité vertigineuse de «tout savoir» ; et l'amnésie, car jamais un individu ne pourra consulter les milliards d'informations potentielles disponibles sur Google et ses concurrents. Ne passons-nous pas notre temps à juste survoler ­ à surfer, précisément ­ pour ne presque rien retenir de ce que nous avons lu, ou juste vu, sur le Net ? En ressort alors un flux sans saveur ni couleurs, petite mosaïque pseudo-culturelle juste bonne à faire illusion dans les exposés pour profs peu regardants ou dépassés.

C'est à ces enseignants qu'incombe pourtant une mission d'initiation à la dialectique à l'ère des réseaux, afin d'apprendre aux jeunes à utiliser à bon escient ces immenses réservoirs du savoir. Y tracer des canaux afin qu'ils ne deviennent pas des marécages, où l'on s'enlise et perd pied, en quelque sorte...

Pascal LARDELLIER professeur en sciences de la communication à l'université de Bourgogne (Dijon). Dernier ouvrage paru : le Pouce et la Souris. Enquête sur la culture numérique des ados, Fayard, 2006.
source: http://www.liberation.fr/tribune/2006/04/12/google-pille-colle-l-arme-fatale-des-etudiants_36053
Auteur: Pascal LARDELLIER
Résumé: Pour une nouvelle génération d'étudiants, les moteurs de recherche constituent d'immenses réservoirs servant à puiser une documentation anonyme et gratuite pour travaux en tout genre...
Pour nombre d'entre eux, le géant américain, c'est la «grande loterie du savoir», représentant un imparable principe d'économie : plus besoin de se déplacer et d'aller à la bibliothèque, plus besoin d'acheter les livres, et, d'ailleurs, plus besoin de les lire. On copie-colle des résumés, des petits fragments glanés sur le Net et le tour est joué.
Mais une génération arrive qui a rarement ce scrupule méthodologique. Parce qu'elle lit moins et que tout doit être fait plus vite. Tout n'est pas faux ni mauvais sur Google, bien sûr, et il ne saurait être question de faire un mauvais procès à un outil superbe, quand il est utilisé avec circonspection. Il faut reprendre conscience de cette chance qui consiste à convoquer «au doigt et à l'oeil» des trésors de savoir potentiel.
Les cas sont de plus en plus fréquents de mémoires ajournés quand les évaluateurs découvrent (si possible avant la soutenance) que l'essentiel du travail résulte de piratage en ligne de travaux antérieurs sur le même sujet. Car les moteurs de recherche ouvrent bien l'ère de l'industrialisation de l'appropriation de la pensée d'autrui. A côté, le «photocopillage» des années 90 relève de l'amateurisme. Selon une étude récente, 60 % des étudiants des grandes écoles avouent copier tout ou partie de leurs travaux sur le Net.
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